L’EUROPE
ET LA
CONJONCTION DES OPPOSÉS
Conjonction
des opposés,
polycentrisme, développement durable
sont les maîtres mots de
la troisième
mutation en cours dans
l’histoire de
la civilisation européenne. Ces nouveaux concepts sont
d’autant plus
d’actualité à l’heure du
grand élargissement
de
l’Europe à l’est.
Tout
archétype possède un versant positif et un
versant
négatif. Toute particule a
une anti-particule. Au travers de l’exemple de ces couples
d’opposés, le défi
de la troisième mutation pousse à penser les
opposés et les complémentarités.
Les concepts de polycentrisme et de la conjonction des
opposés
constituent les fondements de l'Europe.
Le polycentrisme fait
référence à différents concepts :
1. Le polycentrisme en terme
d’aménagement du territoire.
2. Le polycentrisme dans
l’organisation du pouvoir.
3. Le polycentrisme en
Europe avec les Euro-régions.
Le polycentrisme
dans l’aménagement du territoire
Qu’il
s’agisse de l’Europe
avec le SDEC (Schéma Directeur de l’Espace
Communautaire)
ou de la France avec
la DATAR (« Aménager la France de
2020 »),
quatre modalités sont
envisagées et le concept de polycentrisme est le
scénario
privilégié :
·
Un
premier scénario, néo-libéral,
ou
« l'archipel
éclaté », est
caractérisé par un territoire où
s'opposent des villes dynamiques, économiquement
performantes et
internationalement compétitives, et des territoires
marginalisés. L'Etat aide
tant bien que mal les territoires en difficultés mais ne peut
véritablement
réduire les
inégalités entre ces deux territoires.
·
Un
deuxième scénario, néo-jacobin
celui du
« centralisme
rénové »,
met en scène un Etat légitimé dans sa
volonté de conserver un rôle
prééminent
au nom des enjeux de solidarité nationale, de
cohésion
territoriale, voire de
protection environnementale. Ce scénario prévoit
un ferme
encadrement des
initiatives locales, bénéficiant à la
clé
d'octrois financiers publics, sans
pour autant remettre en cause les principes de
décentralisation.
·
Un
troisième scénario, néo-communautaire
« le local
différencié »,
présente l'image d'un territoire où les
initiatives
créatrices de valeurs
économiques et socio-culturelles se sont
multipliées aux
échelons décentralisés
donnant forme à de très nombreuses
entités
hétérogènes tissant entre elles des
liens de coopération sur des projets thématiques.
L'action de l'Etat, plus
souple, s'attache à rechercher une cohésion
d'ensemble et
essaie de corriger
les déséquilibres territoriaux, au demeurant
incontournables dans ce type de
modèle.
L’État devient médiateur des conflits
entre ces
territoires. Il doit réinventer son rôle, car il
ne dicte
plus les règles du
jeu. Il doit être plus flexible dans son intervention.
·
Le
quatrième scénario, scénario
de l’équité « le polycentrisme
maillé », mise sur la recomposition des
territoires
et la redéfinition des
missions de la puissance publique. Les territoires
s’organisent autour de projets (agglomération,
pays, parcs
naturels régionaux
et des coopérations inventives entre villes et
régions). L'Etat s'engage
dans des
stratégies mesurées de différenciation
territoriale appuyées sur une nouvelle
conception de l'équilibre territorial. Ce
scénario
conjugue plusieurs principes
essentiels :
le polycentrisme,
l’égal accès aux infrastructures
(transports) et au
savoir (universités),
la protection du patrimoine culturel et naturel,
le développement de la coopération
transfrontalière,
les trois impératifs du développement durable que
sont
développement économique
et cohésion sociale, protection de
l’environnement,
préservation de l’éthique.
Comme on peut le constater,
du concept de polycentrisme découle implicitement la notion
de
conjonction des
opposés au travers de la régulation entre le
travail et
le capital (féminin -
masculin), et de la solidarité entre
générations
avec le concept du
développement durable (puer - senex). Une Europe
fédérale polycentrique répond
donc aux principes de la troisième mutation en cours dans
l’histoire de
l’Europe, et s’avère bien plus
pertinente que le
concept de fédération
d’États-nations dont on se demande s’il
penche
davantage vers la fédération ou
la confédération. Il faut d’ailleurs
rappeler que
l’architecture de l’Europe de
Maastricht en trois
piliers comporte
des éléments d’une
fédération
(premier pilier ou règne la Commission) et
d’autres d’une confédération
(second et
troisième piliers où règne le Conseil
européen).
Le polycentrisme
dans l’organisation du pouvoir
Le concept de double-démocratie
ou celui d’Europe fédérale
polycentrique est basé sur une organisation polycentrique du
pouvoir, et sur le
principe de la conjonction des opposés. Ceci implique un
rejet
clair d'une volonté de pouvoir ou de toute puissance
("Imperial
Hubris", titre de l’ouvrage d’un auteur anonyme
américain, en fait un agent de la CIA, publié en
2004).
Le polycentrisme
et les euro-régions
La création d'euro-régions a pour but d'assurer une égalité entre petits et grands pays sans risque d'hégémonie d'un grand ou d'une coalition de petits. A côté de pays (France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Turquie), on pourrait imaginer une intégration régionale avec par exemple une région :
Il resterait une région constituée de pays situés sur un arc de cercle médian, où l'on retrouve la famille souche incomplète (Suisse, Belgique, Luxembourg), ou bien une coexistence de la famille souche et nucléaire absolue (Pays-Bas). On retrouve dans ces pays coexistence pacifique ou confrontations de communauté. La structure familiale de l'Irlande est a priori constituée de la famille souche, mais l'affrontement entre catholiques et protestants amène à intégrer ce pays dans cette euro-région que l'on pourrait qualifier d'intermédiaire.
Cette organisation
polycentrique mettrait un terme au rôle jusque là
déterminant du couple
franco-allemand (et à ses maladresses lorsqu’il
dérive vers des attitudes
hégémoniques, se mettant à dos les
« petits pays »).
La conjonction
des
opposés et l’élargissement à
l’est
Un système
familial, le type
communautaire
exogame, est peu
représenté dans l’Europe des quinze.
L’Europe
centro-orientale est constituée
d’un ensemble multinational qui ne répond pas aux
critères occidentaux où
chaque nation occupe un territoire précis. Le type familial
communautaire
exogame qui y domine largement oriente vers la notion de
solidarité, valeur
opposée à celle de la famille nucléaire
absolue.
La chute du mur de Berlin donnait l’occasion de rompre avec
l’ultralibéralisme
et le communisme pour un nouveau mode d’organisation
politique et
économique
assurant une régulation entre le capital, le travail,
l’environnement. Il faut
d’ailleurs noter qu’en 1993, la réunion
de Balamand
se donnait pour objectif de
favoriser le dialogue entre les Eglises orthodoxes et
grecques-catholiques.
L’intégration du féminin et du
masculin, la
régulation du travail et du
capital, l’interaction des valeurs propres à
chaque type
familial (communautaire
exogame et nucléaire absolu pour la régulation
entre le
féminin et le masculin,
nucléaire
égalitaire et souche
pour la régulation entre le puer
et le senex), sur le plan
religieux comme sur le plan
économique, tels sont
les réels enjeux de l’élargissement
à l’est.
Dans le cadre de la troisième mutation en cours,
l’élargissement à l’est
nécessite au préalable un nouveau
traité et une
rupture avec
l’ultralibéralisme. Parallèlement, la
Grande
Bretagne devra clairement choisir
entre son lien privilégié avec les Etats-Unis
(comme son
soutien inconditionnel
depuis 1991 contre l’Irak, ou sa participation au
réseau
d’espionnage Echelon),
lien fortement malmené depuis les manipulations
anglo-américaine lors du second
conflit contre l’Irak, ou réellement
s’intégrer dans l’Europe (cette ambivalence se
traduit par la participation simultanée de la Grande-Bretagne
aux négociations UE - Iran et à la guerre contre l'Irak),
et
s’arrimer
à
l’euro (la Suède pour sa part a voté
non au
referendum sur l’euro en septembre
2003).
Or, les
négociations sur
l’élargissement consistent en une
intégration sans
conditions de l’acquis
communautaire. L’ultralibéralisme s'impose comme
modèle économique unique,
sans aucune alternative possible (la stratégie de Libonne,
à peine tempérée par la stratégie commune en faveur du
développement durable
développée par le Conseil européen de
Göteborg en juin 2001). Ainsi, au lendemain de
l’élargissement de mai 2004, la Commission a
entamé
une procédure à l'encontre de six nouveaux pays
pour
déficits excessifs. Le processus
d’élargissement
ainsi conduit ne
pourra être couronné de succès.
La conjonction
des
opposés et l’intégration de la Turquie
A
l’échelle d’un individu,
le processus d’individuation est un processus de
conjonction des
opposés : conjonction du masculin et du
féminin,
conjonction du puer et du
senex, conjonction de l'imaginaire et du symbolique au-delà
de
ces deux
réalités, dans l'imaginal,
encore appelé processus
d’endogamie symbolique, passant par le sacrifice de la
volonté de pouvoir et de
toute puissance. Au niveau politique, ce processus
d’endogamie
symbolique signifie
aller vers au-delà d’une vision
pré-logique du
monde (l’archaïsme de tout
dogmatisme religieux, de l’intégrisme islamique,
ou le
repli du
national-communisme dans leur refus de la liberté et de la
modernité) et d’une
vision rationalisante et matérialiste du monde
(l’ultra
libéralisme, le
communisme, le social-libéralisme, le Nouvel ordre mondial,
l’Europe de
Maastricht, le modèle de consommation occidental non durable
épuisant les
ressources de la planète). Ce processus tend à
conjoindre
ces deux visions
pré-logique et logique vers un au-delà
où
réémerge les fondements sacrés de la
vie, à l’image du dialogue qui
s’instaure entre la
physique quantique et la
mystique.
Pour
l’Europe, du fait de sa mosaïque de
systèmes
familiaux exogames, du fait de
l’actualisation de la troisième
mutation, le défi
du XXIème siècle
(et le
défi de
l’élargissement) réside dans la
conjonction des
opposés. Conjonction entre le
masculin et le féminin (famille nucléaire absolue
et son
modèle ultra libéral,
famille communautaire exogame et son modèle communiste).
Conjonction entre le
puer et le senex (famille nucléaire égalitaire et
le
modèle italien, famille
souche et le modèle allemand). Tandis que l’Europe
mène un processus
d’endogamie symbolique avec sacrifice de la
volonté de
puissance (confirmant
ainsi la rupture avec l’esprit impérialiste de
l’expédition franco-anglaise,
peu avant la création de la CEE en 1957), le monde musulman
doit
opérer parallèlement
un processus d’exogamie avec rupture avec
l’intégrisme et ouverture à la
modernité. Il s'avère qu'il existe une fracture
patente
au sein de l'Islam entre ces deux extrêmes et cette
problématique devient d'actualité.
Au XIVème siècle,
tandis que
l’Europe s’engageait dans un
processus d’exogamie, débouchant sur la
répartition
des quatre systèmes
familiaux exogames, la naissance des idéologies religieuses,
politiques et
économiques, puis l’apogée du
scientisme,
s’installait en Europe, tentait de
conquérir Rome pour finalement décliner et
disparaître en 1920 avec le traité
de Sèvres. Un long syncrétisme est
installé entre
Byzance et l’Empire Ottoman.
La République Turque est née en 1923 avec
l’abolition du sultanat et du
califat. C’est un État laïque sur le
modèle
occidental, favorisant la
sédentarisation d’un peuple de nomades reconvertis
en
agriculteurs et
industriels. La polygamie est prohibée. La Turquie fait
partie
du Conseil de
l’Europe depuis 1950, est membre de l’OECE depuis
sa
création, et membre
associé à la Communauté depuis 1964.
La Turquie
est officiellement candidate à
l’UE depuis le Conseil européen
d’Helsinki en
décembre 1999 (sous pression des
Etats-Unis qui y voient un moyen d’affaiblir
l’Europe).
Le droit de vote a été accordé aux femmes turques 14 ans avant la France. En 2002, la peine de mort a été abolie et les minorités kurdes ont obtenu davantage de droits. La Turquie possède le plus faible taux de mariage entre cousins germains par rapport à des pays comme le Maroc, l’Egypte ou la Tunisie (on retrouve le plus fort taux en Arabie Saoudite et surtout au Pakistan et au Soudan). Ce processus d’exogamie demande à s’amplifier, avec la poursuite du mouvement de modernisation de la société, la révision du poids des militaires dans la vie politique (une loi allant dans ce sens a été votée par le Parlement turc fin juillet 2003), l’assainissement de l’économie, une lutte contre la corruption (et le trafic de drogue), le rejet sans ambiguïté de l’islamisme, du national populisme, du panturquisme ou de toute velléité de retour au califat, le respect des minorités, la résolution pacifique des problèmes kurde et chypriote. Mais ce processus d’exogamie atteindra d’autant plus facilement son objectif si parallèlement l’Europe s’engage dans un processus d’endogamie symbolique. L’Europe doit passer au préalable par un processus d’endogamie symbolique (la voie de la conjonction des opposés dans le cadre d’une mondialisation au sens cosmopolitique du terme), pour exiger un tel processus d’exogamie de la part de la Turquie qui deviendrait ainsi membre à part entière de l'Europe. Tel apparaît le destin d’une Europe fédérale polycentrique qui pourrait par ailleurs contribuer à résoudre le conflit israélo-palestinien et à construire un ordre mondial fondé sur l'éthique (alors que l'on assiste avec l'administration Bush et le régime de Poutine à une disparition de l'ordre mondial et du droit international). Les 25 dirigeants de l'Union Européenne se sont prononcés le 17 décembre 2004 pour une ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie à partir du 3 octobre 2005.
La victoire du parti islamiste de la Justice et du développement aux élections du 2 novembre 2002 risque de compromettre une telle évolution. De la même façon qu’il était de l’intérêt de l’Europe, depuis la chute du mur de Berlin, de rompre avec l’ultralibéralisme et le marxisme pour intégrer sa composante centro-orientale, il était également de son intérêt d’afficher clairement la vocation européenne d’une Turquie ouverte sur la modernité. Par ses hésitations et ses ambiguïtés, en se conformant au nouvel ordre mondial, l’Europe a contribué à la montée de l’islamisme en Turquie, et il n’est pas de son intérêt d’avoir à sa porte un vaste ensemble panturque dérivant vers un régime islamique. La situation est similaire aux conséquences du conflit yougoslave avec l’infiltration de la Bosnie par les réseaux islamistes, et ce au cœur de l’Europe.
L’intégration
de la
Turquie peut aussi
être interprétée
différemment, dans le sens d’une Europe atlantiste
risquant de dériver vers une
vaste zone de libre-échange. C’est ainsi que
l’on
peut interpréter les
décisions du sommet de l’OTAN en novembre 2002, la
création d'une force de
réaction rapide au sein de l'OTAN venant contrecarrer
l’élaboration d’une
défense européenne indépendante (PESD).
La carte de
l’Union européenne se superposera en effet
à celle
de l’OTAN.
Dans cette hypothèse, l’intégration de la Turquie
dans
l’Europe telle
qu’elle se construit
depuis l’Acte Unique et Maastricht ne paraît pas
opportune.
Les autres
frontières de l’Europe
Le
problème
des frontières de l’Europe ne repose pas sur un
critère historique ou
géographique, mais sur un critère politique,
ou plutôt cosmopolitique, terme adapté
à la
troisième mutation, celui
de géopolitique devant être
réservé à
une vision prédatrice de la mondialisation
dans sa version libérale ou
marxiste.
La Russie
n’est pas candidate à l’UE mais fait
partie du
Conseil de l’Europe depuis 1996
(malgré la guerre en Tchétchénie). En
accord avec
la finalité de l’Europe, le
principe de conjonction des opposés avec rejet de
l’ultra
libéralisme comme du
communisme amène à considérer que la
Russie
n’a pas vocation à devenir membre
de l’Europe. On imagine mal d’ailleurs
l’Europe
s’étendre jusqu’à
Vladivostock.
La place de la Russie au sein du Conseil
de
l’Europe ne semble
donc pas légitime, le Conseil de
l’Europe devant rester
une institution purement européenne.
Il reste
par ailleurs le problème de l’enclave de
Kaliningrad (territoire russe depuis seulement 1945 mais
véritable cheval de Troie de la Russie),
celui de l’Ukraine
dont il n’est pas évident que son destin se trouve
en
Europe, celui de la Moldavie, véritable carrefour entre
l'Est et
l'Ouest, et celui de la Transnistrie voisine qui semble s'apparenter
à un régime de type soviétique.